[AVIS D’EXPERT] Aux Etats-Unis les démocrates s’inquiètent que les mouvements du secteur bancaire (fusions, néobanques…) rendent plus difficiles l’accès à des services complets à certaines populations. Ils veulent changer la réglementation pour éviter l’apparition de déserts bancaires, nous explique Guillaume Alméras
C’est une évolution inattendue, potentiellement fort importante, qui semble se préparer aux Etats-Unis. La nouvelle administration démocrate pourrait en effet revoir sérieusement la réglementation portant sur les fusions bancaires et y introduire de nouveaux critères restrictifs, visant particulièrement le maintien d’un service bancaire complet et suffisamment ouvert sur l’ensemble du territoire, ainsi qu’à l’adresse de certaines communautés défavorisées.
Portée par des élus démocrates influents, comme Sherrod Brown (Ohio), Président du Senate Banking Committee, ou Maxine Waters (Californie), à la tête du House Financial Services Committee, la perspective semble avoir de bonnes chances d’aboutir. Elle conduirait à revoir une réglementation qui, dans ses grandes lignes, n’a guère changé depuis 1995 et que la précédente administration républicaine avait tendance à juger obsolète.
Surtout focalisée sur les agences bancaires, en effet, et utilisant dans ce cadre le complexe indice de Herfindahl-Hirschman, cette réglementation semble dépassée par le développement de la banque digitale. Cependant, pour les Démocrates, qui jugent trop laxiste l’application de la réglementation sur les fusions bancaires ces dernières années, l’argument est insuffisant. Ils constatent que les concentrations bancaires, outre renforcer l’existence d’établissements « too big to fail » exposant à des risques systémiques croissants, se traduisent généralement par un moindre accès aux services financiers pour les populations à bas revenus, pour les plus petites entreprises, ainsi que pour les minorités. Là où des fusions récentes ont eu lieu, estiment les Démocrates, l’accès au crédit s’est raréfié et les tarifs ont augmenté, laissant la place libre pour les usuriers (bien plus implantés aux Etats-Unis qu’en Europe). D’où l’idée de soumettre les fusions bancaires à des critères d’intérêt public.
Des déserts bancaires
Ces constats rejoignent les récentes alertes, lancées au Royaume-Uni, face aux nombreuses fermetures d’agences, installant des populations importantes dans un véritable désert bancaire. Mais cela, qui recouvre pour l’essentiel Outre-Manche l’accès au cash, ainsi qu’un accueil minimal pour certains publics, peut trouver des solutions nouvelles comme les agences mutualisées de Onebanks. Tandis que les Démocrates américains vont beaucoup plus loin et, par rapport aux discours très généralement tenus depuis plus de dix ans sur l’évolution du marché bancaire, c’est un revirement considérable.
Sont pointés en effet les risques d’exclusion de la banque digitale et, à ce titre, rien n’est vraiment attendu des fintechs et néo-banques, trop orientées vers une clientèle aisée. C’est là un constat difficilement contestable mais qui souffre des exceptions notables. Notamment Chime, la plus importante des néobanques américaines et l’une des très rares au monde qui, avec ses 14 millions de clients, largement issus des classes populaires, commencent véritablement à faire concurrence aux plus grandes banques comme établissement principal. Mais, significativement, Chime vient de se voir signifier par le Department of Financial Protection & Innovation californien qu’il serait préférable qu’il cesse de se présenter comme une « banque ».
D’ores et déjà, à travers l’Independent Community Bankers of America, le secteur bancaire mutualiste, les credit unions dont le tissus est très éclaté sur le territoire américain, a fait savoir que s’il approuvait la perspective ouverte, il avait néanmoins besoin de pouvoir gérer des rapprochements à son niveau, pour réaliser des économies d’échelle. Un point de vue qui sera sans doute entendu. De sorte que se dessinerait un paysage bancaire américain dont l’équilibre reposerait à la fois sur quelques très grands établissements et sur un secteur mutualiste renforcé, consolidé et bien implanté localement. Un modèle qui ressemblerait beaucoup… au système bancaire français!
Guillaume Alméras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor